Les disquettes : comment 1,44 mo ont contenu un monde entier
La disquette 1,44 Mo : de Photoshop 1.0 à l'icône immortelle de Microsoft Word.
Un carré de plastique de 9 centimètres qui claque quand on le glisse dans le lecteur. 1,44 mégaoctet de stockage magnétique. Moins qu'un GIF de chat. Et pourtant, entre 1987 et le milieu des années 2000, la disquette 3,5 pouces a été le véhicule universel de la data : logiciels, sauvegardes, échanges de fichiers, jeux piratés au lycée, virus destructeurs qui effaçaient ton disque dur en trois secondes.
Pas de cloud. Pas de clé USB. Pas de Dropbox, Wetransfer, AirDrop. Si tu voulais déplacer un fichier d'un ordinateur à un autre, tu le gravais sur une galette magnétique fragile qui mourrait si tu la posais près d'un aimant de frigo, tu la glissais dans ta poche en priant qu'elle survive au trajet, tu marchais jusqu'à l'autre machine. Physique, lent, limité, capricieux — et diablement efficace.
Aujourd'hui, la disquette est l'objet le plus inutile du computing vintage. Personne n'en rachète pour le fun. Mais son fantôme hante encore ton interface : l'icône "Enregistrer" que tu cliques cinquante fois par jour sans réaliser que tu demandes à ton ordinateur de graver sur un support mort depuis vingt ans.
Retour sur l'objet le plus iconique et le plus absurde du computing des années 90.
De la disquette 8 pouces à la 3,5" : une histoire de miniaturisation

La disquette ne commence pas en 1987. Elle commence en 1971, chez IBM, sous la forme d'un carré de 20 centimètres (8 pouces) qui stocke 80 Ko et ressemble à une pochette de vinyle molle. Flexible, d'où le nom anglais floppy disk. Conçue pour charger le microcode des mainframes IBM System/370. Usage exclusivement professionnel. Tu ne touches pas une disquette 8 pouces sans blouse blanche et badge d'accès.
En 1976, Shugart Associates (futur Seagate) invente la disquette 5,25 pouces. Plus petite, plus accessible, elle devient le standard des premiers ordinateurs personnels : Apple II (1977), Commodore 64 (1982), IBM PC (1981). Capacité : 360 Ko en double densité. Problème : elle reste molle, pliable, sensible à la poussière, aux aimants, à l'humidité, au café renversé, au chien qui la mâchouille. Les forums vintage sont pleins d'histoires de types qui ont perdu leur mémoire de thèse parce qu'ils ont posé une disquette sur un haut-parleur.
1987 : Sony invente la disquette qui ne plie pas
Sony sort la disquette 3,5 pouces en 1981 pour ses ordinateurs professionnels, mais c'est en 1987 qu'elle explose : Apple l'impose sur le Macintosh SE et le Macintosh II. IBM suit avec le PS/2. Différence majeure : un boîtier rigide en plastique dur, une trappe métallique coulissante qui protège la surface magnétique. Finies les galettes qui se plient dans le sac à dos.
Capacité initiale : 720 Ko (double densité). Puis 1,44 Mo en haute densité (HD) dès 1987. Format qui va tenir vingt ans sans évoluer. Vingt ans avec le même standard, la même capacité, les mêmes contraintes. En comparaison, ton iPhone change de format tous les trois ans et rend obsolète tes câbles.
Specs techniques disquette 3,5" HD (pour les masochistes) :
| Caractéristique | Valeur | Commentaire moderne |
|---|---|---|
| Capacité brute | 1,44 Mo (1 474 560 octets) | Un email avec PJ aujourd'hui |
| Secteurs | 80 pistes, 18 secteurs/piste, 2 faces | Architecture moyenâgeuse |
| Vitesse rotation | 300 RPM | Un disque dur fait 7200 RPM |
| Temps accès moyen | 94 ms | Un SSD fait 0,1 ms |
| Durée de vie | 10 ans (théorique), 18 mois (réalité) | La moitié mouraient avant |
| Résistance aimants | Zéro | Un aimant de frigo efface tout |
| Poids | 16 grammes | Plus lourd qu'une clé USB 1 To |
Pourquoi 1,44 mo, pas 1,5 ou 2 ?
Parce que la physique s'en fout de tes besoins. La disquette 3,5" HD utilise un enregistrement magnétique MFM (Modified Frequency Modulation), avec une densité de 17 600 flux par pouce. Les têtes de lecture ne peuvent pas faire mieux sans que le taux d'erreur explose et que la moitié de tes fichiers se transforment en bouillie binaire.
Il existe une version 2,88 Mo (Extended Density), lancée par IBM en 1987 pour certains modèles PS/2. Échec commercial retentissant. Raisons :
- Incompatibilité totale avec les lecteurs 1,44 Mo existants (tu devais avoir deux lecteurs)
- Prix délirant : 10 $ la disquette vierge (contre 0,50 $ pour une 1,44 Mo)
- Fiabilité catastrophique : 30% de taux d'échec en écriture
- Personne n'en voulait
IBM abandonne en 1995. Le marché reste bloqué à 1,44 Mo jusqu'à la mort du format. Vingt ans à 1,44 Mo. Imagine un iPhone qui reste à 16 Go de stockage pendant vingt ans.
Les tentatives désespérées pour dépasser 1,44 Mo :
| Format | Capacité | Année | Pourquoi ça a foiré |
|---|---|---|---|
| Zip Drive (Iomega) | 100 Mo → 750 Mo | 1994 | Lecteur externe 200 $, syndrome du "click of death" (le lecteur claque et détruit tous tes disques), format propriétaire |
| SuperDisk (Imation) | 120 Mo | 1997 | Arrivé trop tard, tué par les CD-R à 2 € |
| HiFD (Sony) | 200 Mo | 1998 | Personne n'a acheté, littéralement personne |
| Jaz Drive (Iomega) | 1 Go → 2 Go | 1995 | 500 $ le lecteur, disques à 100 $ pièce, fiabilité niveau roulette russe |
Le marché a voté : 1,44 Mo suffisait. Ou plutôt : personne ne voulait payer 200 $ pour un lecteur propriétaire quand un graveur CD-R tombait à 100 $ et offrait 650 Mo.
L'ère de la disquette : 1987-2005, ou comment vivre avec 1,44 mo

Ce qui tenait (vraiment) sur 1,44 mo
Logiciels complets (oui, vraiment complets) :
- Photoshop 1.0 (1990) : 1 disquette. Le logiciel qui a inventé la retouche photo numérique tenait sur 745 Ko. Aujourd'hui, l'icône Photoshop fait 2 Mo.
- Doom (1993) : 4 disquettes (2,39 Mo total). Moteur 3D, 9 niveaux, musique MIDI, effets sonores. Une mise à jour Call of Duty aujourd'hui fait 50 Go.
- Windows 3.1 (1992) : 6 disquettes. Un système d'exploitation complet. Windows 11 fait 4,5 Go (750 fois plus gros).
- WordPerfect 5.1 (1989) : 9 disquettes. Le traitement de texte le plus puissant de l'époque.
- Microsoft Office 4.3 (1994) : 32 disquettes. Tu commençais l'install à 18h, tu finissais à 19h30 en changeant les disquettes toutes les 3 minutes. Si la disquette 27 était corrompue, tu recommençais depuis le début.
Ce qui ne tenait PAS :
- Une chanson MP3 de 3 minutes (128 kbps) : 3 Mo → il faut 3 disquettes
- Une photo numérique haute résolution : 5-8 Mo → 6 disquettes
- Une vidéo de 30 secondes : 20 Mo → 14 disquettes
- Un GIF animé de chat (2024) : 8 Mo → 6 disquettes
La disquette imposait une discipline radicale : compression agressive (ZIP, ARJ, RAR), suppression systématique des fichiers temporaires, archivage méthodique. Tu ne laissais pas traîner 50 Mo de cache navigateur quand ton disque dur faisait 120 Mo et que ta sauvegarde complète tenait sur 80 disquettes numérotées.
Les rituels disparus (et leur lot de galères)
Le boot disk sacré : une disquette système bootable avec MS-DOS, les pilotes CD-ROM, fdisk, format.com. Indispensable pour réinstaller Windows 95/98 quand tout partait en vrille (c'est-à-dire toutes les six semaines). Conservée dans un tiroir comme une relique religieuse. Étiquetée au Tipp-Ex : "BOOT DISK — NE PAS TOUCHER".
La collection numérotée maniaque : des boîtes de 10, 25, 50 disquettes achetées chez Carrefour. Étiquetées au feutre Posca : "Backup 12/1998", "Doom wads", "Drivers", "Divers" (la disquette fourre-tout qui contenait toujours le fichier que tu cherchais). Un classeur physique pour organiser des fichiers numériques. L'ancêtre du système de fichiers.
Le piratage scolaire généralisé : les jeux copiés au lycée, disquette à disquette, avec le risque permanent du virus. Pas d'antivirus grand public avant 1995, juste la paranoïa collective et des disquettes qui plantaient Windows au démarrage en affichant "VOUS AVEZ ÉTÉ PIRATÉ PAR DARK AVENGER". Les profs confisquaient les disquettes comme de la drogue.
Le syndrome "Disk Full" éternel : tu essaies de copier un fichier de 1,6 Mo sur une disquette. Échec. Tu comprimes en ZIP. 1,5 Mo. Ça tient. Tu archives sur 2 disquettes avec RAR. La deuxième disquette est corrompue. Tu recommences. Trois tentatives plus tard, ça marche. Quinze minutes perdues pour déplacer 1,6 Mo. Aujourd'hui, tu AirDrop 1 Go en 8 secondes.
Le test du shake : avant d'utiliser une disquette, tu la secoues près de ton oreille. Si tu entends un cliquetis, le volet métallique est décollé, la disquette est morte. Rituel superstitieux transmis de génération en génération sans aucune base scientifique.
La mort lente et (un peu) humiliante : 1998-2010
Les tueurs successifs
Le CD-R (1988, démocratisé en 1998) : 650 Mo pour 2 €, gravure à 2x (30 minutes d'attente, mais tu graves 450 disquettes d'un coup). Les graveurs tombent sous les 100 € en 2000. La disquette perd instantanément son utilité pour les sauvegardes volumineuses. Réaction du marché : les prix des disquettes augmentent (loi de l'offre et de la demande inversée — personne n'en fabrique plus, mais il reste des irréductibles qui en ont besoin).
La clé USB (2000) : 8 Mo initialement (ironique : 6 disquettes), puis 32 Mo, 64 Mo, 128 Mo. En 2005, une clé 1 Go coûte 30 €. Plug-and-play, pas de lecteur externe, impossible à effacer avec un aimant, tu peux la passer à la machine à laver et elle survit. Game over pour la disquette.
L'email et l'ADSL : pièces jointes de 10 Mo, FTP, partage réseau, Kazaa (piratage P2P qui remplace la copie physique). La disquette comme véhicule physique n'a plus aucun sens dans un monde connecté. Les gens commencent à les jeter par cartons entiers.
Les abandons symboliques
Apple abandonne le lecteur en 1998 avec l'iMac G3. Scandale à l'époque. Les journalistes tech hurlent que c'est du suicide commercial. Steve Jobs assume : le floppy disk est mort, personne ne s'en servira dans 5 ans. Il avait raison. L'iMac G3 se vend à 6 millions d'exemplaires. Message reçu : les utilisateurs s'en foutent.

Dell arrête d'inclure le lecteur en standard en 2003. Option à 20 $ pour les entreprises qui insistent (parce qu'elles ont des workflows débiles qui tournent encore sur disquette).
Le dernier ordinateur grand public avec lecteur intégré : 2010 (modèles Dell Optiplex enterprise). Vingt-trois ans après l'invention de la 3,5" HD. Un record de longévité pour un format de stockage amovible. En comparaison, le CD-ROM a duré 15 ans.
Où la disquette survit encore en 2024 (oui, vraiment)
Systèmes industriels : automates programmables, machines-outils CNC des années 90 encore en service. Impossible de mettre à jour sans réécrire tout le logiciel embarqué. Coût du remplacement : 200 000 €. Coût d'une disquette : 2 €. Choix évident. Les usines stockent des palettes de disquettes dans des bunkers climatisés.
Équipements médicaux : scanners IRM, échographes ancienne génération. Coût de remplacement : 500 000 € (+ formation du personnel, recertification FDA). Coût d'un lecteur USB-disquette : 25 €. Les hôpitaux achètent des lecteurs Gotek sur AliExpress pour émuler les disquettes.
Synthétiseurs vintage : Akai MPC2000, E-mu Emulator, Roland S-series. Les musiciens ne veulent pas changer de machine (le son est unique, les workflows sont gravés dans le muscle). Ils achètent des émulateurs Gotek qui montent des fichiers IMG sur clé USB et font croire au synthé que c'est une vraie disquette. Marché de niche ultra-actif.

US Air Force, silos nucléaires : les missiles balistiques américains ont utilisé des disquettes 8 pouces jusqu'en 2019 pour les ordres de lancement. Sécurité par obsolescence : impossible de hacker un système qui ne parle pas TCP/IP, qui n'a aucun port réseau, et dont le lecteur date de 1975. L'Air Force a fini par upgrader vers des SSD... en 2019. Quarante-quatre ans de disquettes pour les armes nucléaires.
L'icône immortelle : la disquette que personne n'a jamais vue
Ouvre Microsoft Word. Clique sur "Enregistrer". L'icône : une disquette 3,5". En 2024. Utilisée par 1,5 milliard de personnes qui n'ont jamais vu de disquette physique de leur vie.

Même délire dans Photoshop, Gmail, Google Docs, LibreOffice, Slack, Notion, Figma. L'icône "Enregistrer" = disquette. Un objet disparu depuis vingt ans qui symbolise encore la sauvegarde permanente.
Pourquoi cette icône refuse de mourir
Reconnaissance universelle instantanée : tout le monde comprend ce que ça représente, même les enfants nés en 2010. Des études UX (Nielsen Norman Group, 2025) montrent que la majorité des utilisateurs reconnaissent encore l'icône disquette comme "sauvegarder", même s'ils n'en ont jamais vu une. Remplacer l'icône par autre chose (nuage, flèche, dossier) crée de la confusion immédiate. Les utilisateurs cherchent la disquette. Pas un nuage. La disquette.
Absence d'alternative claire : que mettre à la place ?
- Un disque dur ? Trop technique, personne ne sait à quoi ça ressemble.
- Une clé USB ? Trop de modèles différents, pas de forme iconique.
- Un nuage ? Ça représente le cloud, pas la sauvegarde locale.
- Une flèche vers le bas ? Ça veut dire "télécharger", pas "enregistrer".
Résultat : aucun symbole n'est aussi immédiat que la disquette. Elle a gagné par KO.
Inertie visuelle massive : changer l'icône = perturber des milliards d'utilisateurs, générer des tickets support, réécrire les manuels de formation. Pour quel gain ? Zéro. Microsoft a testé des alternatives en interne mais est toujours revenu à la disquette face aux retours négatifs.
Le paradoxe culturel
En 2024, la disquette existe plus comme symbole que comme objet. Les designers apprennent à dessiner l'icône disquette dans les écoles sans jamais en avoir touché une. Les gens cliquent sur "Save" cinquante fois par jour en pensant "sauvegarder", pas "graver sur une galette magnétique morte".
La disquette est devenue une métaphore fossilisée. Comme "composer un numéro" (les téléphones n'ont plus de cadran), "sonner" (les téléphones ne sonnent plus, ils vibrent), "raccrocher" (il n'y a plus de combiné à raccrocher). Le langage conserve les gestes disparus.
Tentatives ratées de remplacement :
- Apple a essayé de retirer l'icône disquette de macOS en 2014. Backlash immédiat. Réintroduite en 2015.
- Google Docs utilise un nuage pour "Saved to Drive", mais garde une disquette pour "Download" (incohérence totale).
- Adobe a redessiné l'icône disquette en 2020 pour la rendre "plus moderne" (coins arrondis, dégradés). Personne n'a remarqué.
La disquette est immortelle en tant que symbole, morte en tant qu'objet. Un fantôme qui hante l'interface graphique. Le dernier vestige d'une époque où sauvegarder était un acte physique, pas un sync automatique dans le cloud.
Collection et cote actuelle (spoiler : personne n'en veut vraiment)
Marché des disquettes vierges neuves : quasi mort

Les stocks Verbatim/Imation ont été liquidés entre 2010 et 2015. Sur eBay (moyenne 200+ transactions 2023-2024) :
| Produit | Prix (2024) | Commentaire |
|---|---|---|
| Lot 10 disquettes 3,5" HD neuves scellées | 15-25 € | Acheteurs : bidouilleurs rétro uniquement |
| Boîte 50 disquettes Sony couleurs fluo (années 90) | 80-120 € | Pure nostalgie, personne ne les utilise |
| Disquettes branded (Windows 95, Adobe, Doom) | 5-15 € l'unité | Collection pure, comme des pochettes de vinyle vides |
| Disquette 2,88 Mo IBM (rarissime) | 40-60 € | Collectionneur hardcore uniquement |
Réalité du marché : 90% des disquettes vendues finissent inutilisées dans des tiroirs. Contrairement à la Game Boy ou à l'Amiga 500, personne ne fantasme sur les disquettes. Elles n'ont pas de jeux cultes gravés dessus. Pas de design iconique (elles sont toutes identiques). Pas de son satisfaisant (le "clack" du lecteur, pas de la disquette elle-même). Elles étaient juste un vecteur, pas une expérience.
Lecteurs externes USB : le seul truc qui se vend
Le vrai marché, c'est les émulateurs et les lecteurs USB. Les nostalgiques rachètent des lecteurs pour lire leurs archives (photos de vacances 1998 perdues sur 50 disquettes), mais surtout pour les synthétiseurs vintage.

| Modèle | Prix | Usage réel |
|---|---|---|
| Lecteur USB générique no-name | 15-25 € | Lecture ponctuelle d'archives, meurt au bout de 6 mois |
| Gotek USB Floppy Emulator | 25-40 € | LE produit qui se vend — émule une disquette via fichiers IMG sur clé USB, indispensable pour Amiga/synthés |
| Lecteur Sony MPF920 original (occasion) | 30-50 € | Collectionneur puriste qui veut du matériel d'époque |
| HxC Floppy Emulator (haut de gamme) | 80-120 € | Émulation multi-formats (Amiga, Atari ST, PC), écran OLED, bidouilleurs sérieux |
Le Gotek a sauvé la scène rétro : au lieu d'utiliser de vraies disquettes (fragiles, rares, chères), tu montes des fichiers IMG sur une clé USB. Le synthétiseur ou l'Amiga 500 croit parler à un vrai lecteur. Résultat : des milliers de musiciens utilisent encore des MPC2000 de 1997 en 2024 grâce au Gotek.
Pourquoi la disquette compte encore (malgré tout)
Pas pour des raisons techniques. 1,44 Mo en 2024, c'est grotesque. Une photo iPhone fait 4 Mo. Un PDF de 10 pages dépasse la capacité. Un GIF de chat animé nécessite 6 disquettes.
Elle compte parce qu'elle incarne une contrainte créative radicale. Quand tu as 1,44 Mo pour distribuer un logiciel, tu optimises. Tu comprimes. Tu supprimes les textures inutiles, les sons redondants, les librairies superflues. Tu codes serré. Tu réfléchis à chaque octet.

Doom (1993) tient sur 4 disquettes. 2,39 Mo au total. Moteur 3D révolutionnaire, 9 niveaux, musique MIDI, effets sonores, multijoueur réseau. Aujourd'hui, une mise à jour Call of Duty fait 50 Go. Pas parce que le jeu est 20 000 fois plus complexe. Parce que personne n'optimise plus rien. Parce que le stockage est infini. Parce que les contraintes ont disparu.
La disquette, c'est le souvenir qu'on pouvait faire tenir un monde dans 1,44 Mo. Qu'on pouvait échanger des fichiers sans serveur cloud à 10 € par mois. Qu'on pouvait sauvegarder sans abonnement, sans connexion internet, sans compte Google. Un carré de plastique qui claque dans le lecteur, et tout était là.
Un objet fragile, limité, capricieux. Mais un objet physique, possédé, contrôlé. Tu savais où étaient tes données : dans le tiroir, dans la boîte étiquetée "Backup 1999". Pas dans un datacenter en Irlande que tu ne verras jamais.
La disquette est morte. Son fantôme survit dans l'icône "Enregistrer". Et quelque part, dans un sous-sol d'usine en Allemagne, un automate programmable de 1994 continue de charger son firmware sur une disquette 3,5" qui a survécu à trois décennies. Parce que ça marche encore.